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samedi 19 mai 2012

Bio ou local, faut-il choisir ?


dave haygarth - flikr
Dans le marché de la consommation « responsable », le « consommer local » effectue une percée remarquée, notamment chez les consommateurs occasionnels de produits bio. Faut-il alors y voir une concurrence au bio à l'heure où le secteur voit ses perspectives de croissance se ralentir ? Ou au contraire y déceler un nouveau potentiel de développement des surfaces en bio en France ?
Si le marché du bio a toujours le vent en poupe en France et croît d’années en années en valeur, le dernier baromètre de l’Agence bio montre que le taux d’acheteurs de produits biologiques réguliers (au moins une fois par mois) a baissé entre 2009 et 2011 passant de 46 à 40%. Un constat partagé par le cabinet Xerfi. Dans son étude publiée en janvier, il annonce à la filière des lendemains moins glorieux, avec un ralentissement de la croissance du secteur. Au lieu de la croissance à deux chiffres (32% de progression entre 2008 et 2010 selon l’Agence Bio) à laquelle le marché du bio était abonné depuis des années, il faudra donc compter sur un petit +5% en 2012 et +8% en 2013, selon Xerfi. La cause ? La crise économique en premier lieu, mais aussi le développement d’une concurrence. En particulier celle du « consommer local ».

Consommer local, une nouvelle tendance

Depuis quelques années, à travers les magasins à la ferme, les AMAP, le développement d’Internet pour les producteurs en vente directe ou des réseaux permettant de mettre en relation producteurs et consommateurs pour des achats groupés tels que « la Ruche qui dit oui », le mouvement du « consommer local » suscite l’engouement. L’arrivée du thème « made in France » dans la campagne présidentielle l’a aussi mis sur le devant de la scène.
« Le marché du bio a longtemps surfé sur la tendance "développement durable, environnement, meilleur pour la santé"mais depuis 2 ou 3 ans, on observe une petite inclinaison du marché de l’alimentation vers le local » constate Isabelle Senand, directrice d’études au cabinet Xerfi. « Structurellement, avec la crise économique, le consommateur a tendance à se replier sur lui-même et son bassin local », analyse-t-elle. Par ailleurs, la notion de bilan carbone a elle aussi pris de l’importance et consommer des produits venant de loin apparaît de plus en plus comme un non-sens environnemental pour certains consommateurs, qu’ils soient bio ou pas. Et quand on interroge les consommateurs sur leur définition d’un produit « responsable », c’est d’abord le fait d’être fabriqué localement (51%) qui est cité, avant le respect de l’environnement (34%), selon une étude Ethicity publiée en 2011. Un an plus tard, la tendance se renforce encore: 85% des Français (particulièrement les professions intermédiaires) interrogés par Ethicity en 2012 déclarent privilégier les entreprises qui ont préservé une implantation locale (34% « tout à fait d’accord ») et 40% privilégient les produit à km zéro.
Le mouvement du local est aussi porté par les pouvoirs publics puisque le dernier programme national pour l’alimentation (PNA) présenté en février 2011 fait la part belle à ce mode d’alimentation. Au détriment du bio selon certains. En juin dernier, lors d’un colloque « Oui au bio dans ma cantine », la FNAB (fédération nationale de l’agriculture biologique) expliquait ainsi que le « dernier PNA (avait) carrément oublié l’agriculture biologique dans son écriture ». Avant d’insister sur la nécessité de ne pas « détourner » les « objectifs de l’alimentation bio vers des substituts non qualifiés. ». Car « il y a parfois un peu de tromperie : certains pensent que local veut dire bio mais il n’y a qu’un label qui peut le garantir » explique Alain Delangle, secrétaire général à la FNAB.

Ne pas arbitrer entre bio et local

Le message « local » supplante néanmoins de plus en plus les arguments environnementaux et santé mis en avant par le secteur bio dans la tête de certains consommateurs. Si les consommateurs très réguliers du bio ont bien intégré ses fondements dans leur globalité, ce n’est pas le cas des consommateurs occasionnels. Or, c’est pour cette frange de la population que les distributeurs se battent. « Le marché du bio s’est développé grâce à des consommateurs occasionnels qui achètent en grandes surfaces. Aujourd’hui celles-ci tentent de surfer sur toutes les tendances (consommation locale, responsable) car elles ne sont pas en grande forme » explique Isabelle Senand. « C’est paradoxal pour nous, reprend Alain Delangle. Cela devient une concurrence alors que nous avons été les premiers à porter le dossier de la relocalisation ».
De fait, entre le « consommer bio » pour la notion de santé et d’environnement et le « consommer local » pour privilégier son tissu économique et connaître l’origine de ses produits, difficile pour le consommateur de s’y retrouver. Pour Elizabeth Pastore-Reiss du cabinet Ethicity, l’arbitrage se fait en fonction des produits et des aspirations de chacun : « il y a une vraie concurrence concernant les fruits et légumes car proximité signifie « plus de fraîcheur » pour les consommateurs. Mais pour des produits tels que le lait, les yaourts ou les œufs  l’argument bio me semble plus fort. Quant aux volailles, la concurrence vient plutôt d’autres labels, tel le « label rouge », que du local ».
Pour les professionnels de la filière bio, il s’agit surtout de ne pas opposer les deux mais d’avoir une vision globale sur le modèle d’agriculture souhaité. « Quelle est la cohérence dans le fait de consommer de la viande locale si elle a été nourrie avec du soja brésilien ? interroge Alain Delangle. Le système de production ne doit pas s’opposer à la relocalisation. C’est un tout. » Cependant, la FNAB avoue aussi que, pour développer la filière bio à ses débuts, il a d’abord fallu transmettre un message simple au consommateur en lui montrant qu’il existait d’autres modes de production meilleurs pour l’environnement, d’où l’image tronquée qui a parfois subsisté…

Un potentiel de développement pour le secteur bio ?

Pour autant, le consommer local constitue-t-il une « menace » économique pour le développement du marché bio ? L’impact des produits issus des circuits courts sur la consommation de produits bio apparait encore limité. Isabelle Senand estime leur chiffre d’affaires à 2,5 milliards d’euros sans réelle possibilité d’expansion rapide, essentiellement du fait des contraintes d’approvisionnement des grandes villes, alors que celui du bio est estimé à 4 milliards d’euros en 2011.
Le baromètre de l’Agence bio précise même que parmi les éléments incitatifs de consommation de produits bio, avoir accès à des produits bio régionaux ou locaux est plébiscité par 88% des sondés. Le mouvement local constitue donc aussi une réelle opportunité de développement pour le bio. L’étude Xerfi souligne d’ailleurs que « les réseaux spécialisés (type Biocoop ou Biomonde, ndlr) ont tout intérêt à mettre en avant leurs atouts en matière d’approvisionnement local ».
Une opinion partagée par les acteurs du monde bio qui constatent néanmoins un vrai frein structurel au développement du « bio made in France ». En effet, avec près de 4 % des surfaces cultivables en bio en France, impossible de subvenir à toutes les demandes. D’après l’Agence bio, 35,3 % des produits bio consommés en France en 2010 ont été importés. Au delà des produits exotiques, 49 % des importations correspondent à des denrées que la France est capable de produire mais pour lesquelles elle manque conjoncturellement de volumes. Pour tenter d’inverser la tendance et développer les filières, la FNAB a donc lancé en septembre dernier une campagne destinée à soutenir le secteur stratégique de la restauration collective sur le thème « bio et local, c’est l’idéal ». « Tous les maires veulent faire leur agenda 21 et dire qu’ils s’approvisionnent en local. Avec les échéances politiques, ils veulent des résultats rapides et comme il y a moins de producteurs en bio qu’en conventionnel c’est une vraie concurrence pour nous alors que nous avons besoin de ce secteur pour structurer les filières bio et développer les surfaces en France », estime Alain Delangle. En espérant atteindre les 20% de surfaces en bio d’ici à 2020.

Publié le 03-04-2012

Pauline Rey-Brahmi

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